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Entorse aiguë de cheville et instabilité chronique

Dernière mise à jour : 2 juin

Optimiser l’évaluation et la prise en charge d’un traumatisme souvent négligé.


Par Jehan de Chaillé


Cet article de blog est le fruit de la lecture de plusieurs articles scientifiques puis de la rédaction de leur synthèse. Il n’a pas la prétention de créer de la connaissance. Toutes les références sont disponibles pour plus d’approfondissement

Image représentant une cheville traumatique

En 2019, 14 experts de la cheville publient une étude delphi pour les cliniciens qui prennent en charge des chevilles traumatiques dans leurs cabinets : “Clinical assessment of acute lateral ankle sprain injuries (ROAST): 2019 consensus statement and recommendations of the International Ankle Consortium”. Ils partent d’un constat lapidaire : l’entorse aiguë de cheville est très répandue mais elle est mal soignée par des cliniciens qui pensent bien connaître le sujet.


Pour rentrer plus dans les détails : l’entorse de cheville est la blessure la plus répandue dans le monde du sport, mais également dans la population générale (en 1995 était estimé à 6000 le nombre d’entorses par jour en France, statistiques considérées par beaucoup comme sous-estimées puisque ne représentant que les cas pris en charge aux urgences). C’est aussi la blessure des membres inférieures qui connaît le plus de récidive et où les patients décrivent des symptômes persistants faisant évoquer une instabilité chronique de cheville (ICC). En 2010 une équipe de chercheurs a sondé 281 membres de l’Irish Society Of Chartered Physiotherapists (ISCP) afin d’évaluer leurs connaissances sur l’entorse latérale de cheville et l’instabilité chronique. Il en est ressorti que leurs connaissances étaient insuffisantes et que les prises en charge étaient trop figées, protocolisées, redondantes et systématiques alors que le design d’une prise en charge se doit d’être personnalisé à la personne et à ses déficits.


Ainsi ces 14 experts se sont rassemblés afin de standardiser une démarche diagnostic de la cheville ayant subi un traumatisme. Elle se décompose en deux volets : compréhension du mécanisme lésionnel et évaluation des os et des ligaments de l’articulation. Il est également ressorti de ce rassemblement une aide à l’évaluation mécanique et sensori-motrice des chevilles traumatiques dans leur phase aiguë, afin de détecter les déficiences des patients pouvant être associées dans le futur à des ICC, le fameux ROAST (Rehabilitation-Oriented ASsessmenT).



1er temps - Diagnostic clinique à la présentation du sujet

1 - Compréhension du mécanisme lésionnel

Elle permettra de suspecter les tissus touchés.

Succinctement le clinicien doit avoir en tête une atteinte des ligaments latéraux si le sujet décrit un mécanisme rapide de supination du bloc pied, additionné ou non à un mouvement de rotation interne de la même région sous le complexe tibio-fibulaire, quel que soit la position du pied dans le plan sagittal.

Par ailleurs l’idée d’une blessure compliquée par l’atteinte de la syndesmose de la cheville doit exister dans le raisonnement du praticien. Les mécanismes sont moins évidents, mais à l’heure actuelle les publications décrivent des mécanismes lésionnels en rotation externe du pied sous la pince malléolaire, une supination du talus dans la pince et une dorsiflexion trop importante dans le plan sagittal.



2 - Existence d’antécédent

Comme le risque de récidive est grand, si le sujet a déjà subi une ou plusieurs entorses, il est hautement probable qu'elle soit nouvelle. Par ailleurs l’existence d’antécédents augmente les risques de présence de déficiences mécaniques et sensorimotrices associées qu’il est important de cibler afin de les prendre en charge.



3 - Capacité de mise en charge

Elle fait partie des règles d’Ottawa. Autant au moment du traumatisme qu’au moment où le sujet se présente, il doit être capable de supporter 4 pas. Si ce n’est pas le cas, la probabilité clinique d’une fracture est importante.



4 - Evaluation osseuse

Selon les règles d’Ottawa, il faut éliminer la présence d’une fracture malléolaire en combinant l’absence de douleur malléolaire rapportée par le sujet avec l’absence de douleur à la palpation des tranches postérieures des malléoles sur 6 cm de hauteur.



5 - Évaluation des ligaments

Il est nécessaire de chercher les différents éléments atteints, voire de vérifier leur rupture complète.


Le ligament talo-fibulaire antérieur (LTFA) qui est bi-fasciculé (une portion supérieur, et une portion davantage inférieure) sera stressé par une palpation précise lors de laquelle sera recherché la reproduction d’une douleur reconnue par le patient. Stressé également par un mécanisme de supination et rotation interne du pied, lors duquel sera recherché une douleur reconnue par le patient. Sa rupture complète sera identifié par le Anterior Drawer Test (le fait qu’il soit bi-fasciculé mérite que ce test soit effectué avec l’articulation talo-crurale en flexion plantaire d’environ 10-20° pour la portion supérieure, et avec une flexion plantaire d’environ 45°- 60° pour la portion inférieure). La littérature montre que c’est la manoeuvre la plus sensible et spécifique, qu’il est plus fiable 4 à 6 jours post-traumatique, et que l’absence de sulcus à ce test diminue très fortement les risques de rupture complète. Selon les équipes, il est pratiqué dans différente positions (assis bord de table, en décubitus strict pied débordant, en décubitus genou fléchi pied au plan…).*


Le ligament calcanéo-fibulaire est sous cutanée et palpable facilement. La reproduction de la douleur connue du patient à la palpation ainsi que l’application d’un stress mécanique par flexion dorsale et rotation interne du pied, indique une atteinte de ce moyen d’union. En comparaison au côté opposé, une laxité importante lors de rotation interne de l’arrière pied en flexion dorsale maximum, augmente la probabilité d’une rupture complète.


Il est absolument nécessaire de vérifier l’intégrité de la syndesmose, d’autant plus lorsqu’un patient décrit un mécanisme lésionnel en flexion dorsale forcée couplée à une rotation interne de la jambe/rotation externe du pied créant une supination du talus dans la pince bi-maléollaire. Pour cela, la palpation des moyens d’unions passives et le squeeze test sont respectivement le test le plus sensible et le test le plus spécifique. Ainsi dans le cas où les deux sont positifs, le risque de lésion des ligaments de la syndesmose est très important. On peut ajouter une mise en stress de la syndesmose en appliquant une flexion dorsale forcée de l’articulation talo-crurale couplé à une rotation externe du pied (appelé parfois test de Kleiger, ou test de rotation externe), comparativement au côté opposé. Reproduction de douleur ? Laxité ? Soulever une atteinte de la syndesmose peut constituer un drapeau rouge.


Nous retrouvons également dans la littérature qu’il est nécessaire de coupler ces tests orthopédiques à la présence ou non de différents symptômes associés (localisation de la douleur, œdème sus-malléolaire).




2ème temps - Identification et suivi des déficiences mécaniques et sensorimotrices

Durant la phase aigüe de l’entorse de cheville, il a été appuyé par ce groupe d’expert que la vigilance vis-à-vis des déficiences constituerait un moyen efficace de repérer les blessés pouvant dériver vers une ICC et ainsi de les prévenir. Pour cela, il est proposé de surveiller et d’évaluer plusieurs critères qui sont tous retrouvés dans des populations souffrant d’ICC.


La douleur

Il ne faut pas hésiter à proposer aux sujets d’auto-évaluer leur douleur. Au cours de la rééducation, elle doit diminuer. Outre l’évaluation de l’intensité, il est possible d’évaluer son impact dans la vie courante (voir plus bas).


L’œdème

La présence d’un œdème sera à l’origine d’une altération des informations somatosensorielles transmises au système nerveux central. Cela déclenche alors un processus d' “inhibition musculaire d’origine articulaire” (Arthrogenic muscle inhibition) qui altérera la stabilité et les performances de l’articulation. Un moyen rapide de suivre l’évolution de l’œdème est d’effectuer la “Figure en 8” . Suivre l’état de l’œdème permettra alors de prendre des décisions thérapeutiques de rééducation, et de suivre son efficacité. Compte tenu de l’AMI, imposer à un sujet de l’équilibre unipodal ou des exercices de changement de direction pourrait, par exemple, être un facteur de récidive précoce.


Amplitude articulaire

L’amplitude la plus impactée par les entorses latérales de cheville est visiblement la flexion dorsale. Un bon moyen de suivre son évolution sera de mettre en place le weight-bearing lunge test qui est simple et rapide. De la même manière, l’évolution de l’amplitude articulaire permettra de déterminer l’efficacité de la prise en charge et d’en guider la progression. Un manque de progression nous fera adopté d’autre attitude et pourrait même pousser à réorienter par exemple.


Arthocinématique

Si l’amplitude de dorsiflexion est limitée, la cinématique du talus dans ses capacités de glissements antéro-postérieurs sont peut-être en cause. Il convient alors de l’évaluer par le test du glissement postérieur du talus (Posterior Talar Glide Test). Si ce test est négatif il conviendra d’investiguer d’autres causes potentielles de diminution de la dorsi-flexion, notamment avec les sensations rapportées par le patient (implication des articulations du médiopied, conflit postérieur, long fléchisseur de l’hallux etc…)


Force musculaire

Il est conseillé de mesurer la force des muscles de la cheville, puisque une bonne protection de l’articulation est possible grâce au recrutement des unités musculo-tendineuses grâce à la rigidité générée. La littérature a identifié la faiblesse des muscles de la région talo-crurale au sein d’une population souffrant d’ICC. Attention, l’appréciation manuelle de la force isométrique n’est pas fiable. Il faut absolument utiliser du matériel adéquat, type dynamomètre isocinétique (mais très coûteux et présent essentiellement au sein de structure spécialisée) ou bien des dynamomètres manuels. Il est aussi conseillé de mesurer la force des groupes musculaires de la hanche puisque des pertes de force proximale ont également été relevées.


Équilibre postural statique

Par le Balance Error Scoring System et le Foot Lift Test.


Équilibre postural dynamique

Par le Star Excursion Balance Test.


Observation de la marche

Des positionnements des membres inférieurs, et des techniques de marche déficitaires sont retrouvés au sein des populations souffrant d’ICC. Ces positionnements et techniques seraient impliqués dans un taux très important de récidive lors, justement de la marche notamment au moment des phases de transition charge/décharge.


Niveau d’activité physique

Estimer le niveau d’activité physique avant la blessure et au moment de l’évaluation. Cela peut aider à développer un programme personnalisé et à viser des objectifs cohérents mais aussi à déterminer où en est le patient et si l’accompagnement est correct. Pour cela le questionnaire de Tegner est proposé.


Outils d’auto-évaluation

L’auto-évaluation permet d’améliorer les prises en charge et de construire un suivi de meilleure qualité. Il est recommandé d’utiliser le Foot and Ankle Disability Index et le Foot and Ankle Ability Measure pour suivre l’évolution de la fonction de la cheville. Il existe des statistiques se référant aux sujets souffrant d’ICC, caractérisant l’impact fonctionnel et le handicap ressenti.



Conclusion


Comme nous l’avons vu, mettre en place un ensemble de mesure pour affiner un diagnostic dans le but de mettre en place une rééducation la plus personnalisée possible, et développer une vigilance sur certains points afin de prévenir le développement ou de détecter des ICC déjà présentes, demande une mise à jour de nos connaissances, un changement de pratique, mais n’est en soit pas très compliqué. Cela permettrait d’augmenter la pertinence, l’efficience et la fiabilité de nos interventions.


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