Par Jehan de Chaillé
Cet article de blog est le fruit de la lecture de plusieurs articles scientifiques puis de la rédaction de leur synthèse. Il n’a pas la prétention de créer de la connaissance mais d'optimiser l’évaluation et la prise en charge d’une entorse aiguë de cheville souvent négligée.
Recommandations actuelles sur l'entorse latérale de la cheville
Qu'est-ce que l'entorse latérale aiguë de la cheville ?
L'entorse latérale aiguë de la cheville est la blessure la plus courante dans le monde du sport et parmi la population générale. Chaque jour, environ 6 000 cas sont recensés en France, un chiffre sous-estimé puisqu'il ne prend en compte que les incidents traités aux urgences. Cette blessure est particulièrement propice aux récidives et peut conduire à des symptômes persistants et à une instabilité chronique de la cheville (ICC).
Pourquoi une meilleure prise en charge de l'entorse de cheville est-elle nécessaire ?
Une étude réalisée en 2010 a révélé que les connaissances des membres de l'Irish Society Of Chartered Physiotherapists (ISCP) sur l'entorse latérale de cheville et l'ICC (instabilité chronique de la cheville) étaient insuffisantes. Les traitements appliqués étaient souvent trop standardisés et ne prenaient pas en compte la nécessité d'une approche personnalisée, adaptée aux déficits spécifiques de chaque patient.
Quelle est la proposition du Consortium International de la Cheville de 2019 ?
En 2019, 14 experts de la cheville ont publié une étude Delphi intitulée "Clinical assessment of acute lateral ankle sprain injuries (ROAST): 2019 - Consensus statement and recommendations of the International Ankle Consortium". Ils ont standardisé une approche diagnostique pour les chevilles ayant subi un traumatisme, qui comprend l'analyse du mécanisme lésionnel et l'évaluation des os et ligaments de l'articulation. Cette démarche vise à améliorer la compréhension et le traitement des entorses de cheville.
Qu'est-ce que le ROAST et en quoi consiste-t-il ?
Le ROAST (Rehabilitation-Oriented ASsessmenT) est une innovation majeure issue de la collaboration des experts. Il s'agit d'une méthode d'évaluation conçue pour identifier les déficiences mécaniques et sensori-motrices des chevilles traumatiques dans leur phase aiguë. Cet outil a pour but de détecter précocement les risques de développement d'une instabilité chronique de cheville, permettant ainsi une prise en charge plus ciblée et personnalisée.
Comment améliorer la prise en charge des entorses latérales aiguës de la cheville ?
La clé pour améliorer le traitement des entorses latérales aiguës de la cheville réside dans l'adoption d'une approche diagnostique et thérapeutique personnalisée, basée sur les recommandations du Consortium International de la Cheville et l'utilisation du ROAST. Il est essentiel que les cliniciens mettent à jour leurs connaissances et adaptent leurs pratiques pour offrir aux patients la meilleure prise en charge possible.
Comment évaluer l'Entorse Latérale Aiguë de la Cheville ?
Evaluation clinique initiale à la présentation du sujet
Compréhension du mécanisme lésionnel
Elle permettra de suspecter les tissus touchés.
Succinctement le clinicien doit avoir en tête une atteinte des ligaments latéraux si le sujet décrit un mécanisme rapide de supination du bloc pied, additionné ou non à un mouvement de rotation interne de la même région sous le complexe tibio-fibulaire, quel que soit la position du pied dans le plan sagittal.
Par ailleurs l’idée d’une blessure compliquée par l’atteinte de la syndesmose de la cheville doit exister dans le raisonnement du praticien. Les mécanismes sont moins évidents, mais à l’heure actuelle les publications décrivent des mécanismes lésionnels en rotation externe du pied sous la pince malléolaire, une supination du talus dans la pince et une dorsiflexion trop importante dans le plan sagittal.
Existence d’antécédent
Comme le risque de récidive est grand, si le sujet a déjà subi une ou plusieurs entorses, il est hautement probable qu'elle soit nouvelle. Par ailleurs l’existence d’antécédents augmente les risques de présence de déficiences mécaniques et sensorimotrices associées qu’il est important de cibler afin de les prendre en charge.
Capacité de mise en charge
Elle fait partie des règles d’Ottawa. Autant au moment du traumatisme qu’au moment où le sujet se présente, il doit être capable de supporter 4 pas. Si ce n’est pas le cas, la probabilité clinique d’une fracture est importante.
Evaluation osseuse
Selon les règles d’Ottawa, il faut éliminer la présence d’une fracture malléolaire en combinant l’absence de douleur malléolaire rapportée par le sujet avec l’absence de douleur à la palpation des tranches postérieures des malléoles sur 6 cm de hauteur.
Évaluation des ligaments
Il est nécessaire de chercher les différents éléments atteints, voire de vérifier leur rupture complète.
Le ligament talo-fibulaire antérieur (LTFA) qui est bi-fasciculé (une portion supérieur, et une portion davantage inférieure) sera stressé par une palpation précise lors de laquelle sera recherché la reproduction d’une douleur reconnue par le patient. Stressé également par un mécanisme de supination et rotation interne du pied, lors duquel sera recherché une douleur reconnue par le patient.
Sa rupture complète sera identifié par le Anterior Drawer Test (le fait qu’il soit bi-fasciculé mérite que ce test soit effectué avec l’articulation talo-crurale en flexion plantaire d’environ 10-20° pour la portion supérieure, et avec une flexion plantaire d’environ 45°- 60° pour la portion inférieure). La littérature montre que c’est la manoeuvre la plus sensible et spécifique, qu’il est plus fiable 4 à 6 jours post-traumatique, et que l’absence de sulcus à ce test diminue très fortement les risques de rupture complète. Selon les équipes, il est pratiqué dans différente positions (assis bord de table, en décubitus strict pied débordant, en décubitus genou fléchi pied au plan…).*
Le ligament calcanéo-fibulaire est sous cutanée et palpable facilement. La reproduction de la douleur connue du patient à la palpation ainsi que l’application d’un stress mécanique par flexion dorsale et rotation interne du pied, indique une atteinte de ce moyen d’union. En comparaison au côté opposé, une laxité importante lors de rotation interne de l’arrière pied en flexion dorsale maximum, augmente la probabilité d’une rupture complète.
Il est absolument nécessaire de vérifier l’intégrité de la syndesmose, d’autant plus lorsqu’un patient décrit un mécanisme lésionnel en flexion dorsale forcée couplée à une rotation interne de la jambe/rotation externe du pied créant une supination du talus dans la pince bi-maléollaire. Pour cela, la palpation des moyens d’unions passives et le squeeze test sont respectivement le test le plus sensible et le test le plus spécifique. Ainsi dans le cas où les deux sont positifs, le risque de lésion des ligaments de la syndesmose est très important. On peut ajouter une mise en stress de la syndesmose en appliquant une flexion dorsale forcée de l’articulation talo-crurale couplé à une rotation externe du pied (appelé parfois test de Kleiger, ou test de rotation externe), comparativement au côté opposé. Reproduction de douleur ? Laxité ? Soulever une atteinte de la syndesmose peut constituer un drapeau rouge.
Nous retrouvons également dans la littérature qu’il est nécessaire de coupler ces tests orthopédiques à la présence ou non de différents symptômes associés (localisation de la douleur, œdème sus-malléolaire).
Quelles sont les étapes pour identifier et suivre les déficiences mécaniques et sensorimotrices ?
Durant la phase aigüe de l’entorse de cheville, il a été appuyé par ce groupe d’expert que la vigilance vis-à-vis des déficiences constituerait un moyen efficace de repérer les blessés pouvant dériver vers une ICC et ainsi de les prévenir. Pour cela, il est proposé de surveiller et d’évaluer plusieurs critères qui sont tous retrouvés dans des populations souffrant d’ICC.
La douleur
Il ne faut pas hésiter à proposer aux sujets d’auto-évaluer leur douleur. Au cours de la rééducation, elle doit diminuer. Outre l’évaluation de l’intensité, il est possible d’évaluer son impact dans la vie courante (voir plus bas).
L’œdème
La présence d’un œdème sera à l’origine d’une altération des informations somatosensorielles transmises au système nerveux central. Cela déclenche alors un processus d' “inhibition musculaire d’origine articulaire” (Arthrogenic muscle inhibition) qui altérera la stabilité et les performances de l’articulation. Un moyen rapide de suivre l’évolution de l’œdème est d’effectuer la “Figure en 8” . Suivre l’état de l’œdème permettra alors de prendre des décisions thérapeutiques de rééducation, et de suivre son efficacité. Compte tenu de l’AMI, imposer à un sujet de l’équilibre unipodal ou des exercices de changement de direction pourrait, par exemple, être un facteur de récidive précoce.
Amplitude articulaire
L’amplitude la plus impactée par les entorses latérales de cheville est visiblement la flexion dorsale. Un bon moyen de suivre son évolution sera de mettre en place le weight-bearing lunge test qui est simple et rapide.
De la même manière, l’évolution de l’amplitude articulaire permettra de déterminer l’efficacité de la prise en charge et d’en guider la progression. Un manque de progression nous fera adopté d’autre attitude et pourrait même pousser à réorienter par exemple.
Arthocinématique
Si l’amplitude de dorsiflexion est limitée, la cinématique du talus dans ses capacités de glissements antéro-postérieurs sont peut-être en cause. Il convient alors de l’évaluer par le test du glissement postérieur du talus (Posterior Talar Glide Test).
Si ce test est négatif il conviendra d’investiguer d’autres causes potentielles de diminution de la dorsi-flexion, notamment avec les sensations rapportées par le patient (implication des articulations du médiopied, conflit postérieur, long fléchisseur de l’hallux etc…)
Force musculaire
Il est conseillé de mesurer la force des muscles de la cheville, puisque une bonne protection de l’articulation est possible grâce au recrutement des unités musculo-tendineuses grâce à la rigidité générée.
La littérature a identifié la faiblesse des muscles de la région talo-crurale au sein d’une population souffrant d’ICC.
Attention, l’appréciation manuelle de la force isométrique n’est pas fiable. Il faut absolument utiliser du matériel adéquat, type dynamomètre isocinétique (mais très coûteux et présent essentiellement au sein de structure spécialisée) ou bien des dynamomètres manuels.
Il est aussi conseillé de mesurer la force des groupes musculaires de la hanche puisque des pertes de force proximale ont également été relevées.
Équilibre postural statique
Par le Balance Error Scoring System et le Foot Lift Test.
Équilibre postural dynamique
Par le Star Excursion Balance Test.
Observation de la marche
Des positionnements des membres inférieurs, et des techniques de marche déficitaires sont retrouvés au sein des populations souffrant d’ICC. Ces positionnements et techniques seraient impliqués dans un taux très important de récidive lors, justement de la marche notamment au moment des phases de transition charge/décharge.
Niveau d’activité physique
Estimer le niveau d’activité physique avant la blessure et au moment de l’évaluation. Cela peut aider à développer un programme personnalisé et à viser des objectifs cohérents mais aussi à déterminer où en est le patient et si l’accompagnement est correct.
Pour cela le questionnaire de Tegner est proposé.
Outils d’auto-évaluation
L’auto-évaluation permet d’améliorer les prises en charge et de construire un suivi de meilleure qualité. Il est recommandé d’utiliser le Foot and Ankle Disability Index et le Foot and Ankle Ability Measure pour suivre l’évolution de la fonction de la cheville. Il existe des statistiques se référant aux sujets souffrant d’ICC, caractérisant l’impact fonctionnel et le handicap ressenti.
Conclusion
L'adoption d'une approche diagnostique et thérapeutique personnalisée, basée sur une évaluation complète et un suivi attentif des déficiences mécaniques et sensorimotrices, est essentielle pour une récupération optimale des entorses latérales aiguës de la cheville et éviter l'instabilité chronique de cheville. Un engagement envers la formation continue et l'adaptation des pratiques cliniques est nécessaire pour améliorer les résultats des patients.
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